Le réflexe d'éjection dysphorique (RED) : comprendre ce phénomène méconnu

Le réflexe d'éjection dysphorique (RED) : comprendre ce phénomène méconnu

Introduction

L'allaitement maternel est souvent décrit comme une expérience positive et naturelle pour la mère et l'enfant. Pourtant, certaines femmes ressentent des émotions négatives intenses et soudaines juste avant l'éjection du lait. Ce phénomène, appelé réflexe d'éjection dysphorique (RED), reste peu connu et encore mal compris. Dans cet article, nous explorerons ce qu'est le RED, comment il a été mis en évidence et en quoi il diffère d'autres états tels que la dépression du postpartum.

Présentation des intervenantes

Harmony Csopaki, orthophoniste spécialisée en périnatalité et co-gérante de Calipeton Formations, a eu l'opportunité d'échanger avec Julie BITOUN, puéricultrice et consultante en lactation certifiée IBCLC. Cette dernière, forte de huit années d'expérience en néonatologie, pédiatrie et maternité, s'est progressivement spécialisée dans l'accompagnement de l'allaitement maternel. Sa curiosité pour le RED est née au cours de sa formation en lactation, lorsqu'elle a choisi d'écrire un article scientifique sur ce sujet encore peu étudié.

Qu'est-ce que le réflexe d'éjection dysphorique ?

Le RED a été mis en lumière en 2007 par Alia Macrina Heise, une chercheuse américaine. Il se manifeste par une émotion négative intense, souvent qualifiée de dysphorie, qui survient juste avant l'éjection du lait. Cette sensation dure quelques minutes et peut se répéter à chaque réflexe d'éjection au cours de la tétée.

Ce qui distingue le RED d'autres troubles émotionnels est que ces sentiments négatifs ne sont pas dirigés contre le bébé, mais bien contre l'acte d'allaiter lui-même. Les mères concernées ressentent une profonde envie de continuer à allaiter, malgré la difficulté émotionnelle que cela engendre.

Une épreuve silencieuse pour les mères

De nombreuses femmes atteintes de RED poursuivent leur allaitement en silence, convaincues des bienfaits du lait maternel pour leur enfant. Cependant, cette souffrance non exprimée peut engendrer un sentiment d'isolement, de culpabilité et de honte. Beaucoup ne se confient pas, pensant être seules à vivre cette expérience ou qu'elles sont responsables de leur mal-être.

Différences entre RED, baby blues et dépression du postpartum

Il est essentiel de différencier le RED de la dépression du postpartum. Le RED a une cause physiologique, probablement hormonale, tandis que la dépression du postpartum résulte d'une combinaison de facteurs psychologiques, physiques et environnementaux. Le RED survient exclusivement au moment du réflexe d'éjection du lait, alors que la dépression du postpartum s'installe progressivement et affecte différents aspects du quotidien de la mère.

Cependant, une femme souffrant de dépression du postpartum peut également présenter un RED, et inversement. Il est donc crucial de ne pas confondre ces deux conditions et d'offrir un accompagnement adapté à chaque situation.

Le rôle des hormones dans le RED

Deux principales hypothèses hormonales sont étudiées pour expliquer le RED :

L'implication de l'ocytocine

L'ocytocine est une hormone sécrétée par l'hypophyse postérieure, responsable du réflexe d'éjection du lait. Normalement, sa libération induit une sensation de bien-être et de détente chez la mère. Cependant, dans le cadre du RED, cette hormone semble engendrer une réponse émotionnelle négative, similaire à celle observée dans le stress post-traumatique. Plutôt que de provoquer du plaisir et du lien, elle déclenche un malaise intense, illustrant un dysfonctionnement dans la réponse hormonale du corps.

Le rôle de la dopamine

La dopamine est un neurotransmetteur impliqué dans la sensation de plaisir et de récompense. Lors du réflexe d'éjection, l'augmentation de l'ocytocine entraîne une chute brutale de la dopamine. Si cette baisse est physiologique et survient chez toutes les femmes allaitantes, certaines semblent y être particulièrement sensibles. Cette sensibilité exacerbée pourrait expliquer les sentiments négatifs soudains observés dans le RED.

Symptômes et identification du RED

Les symptômes du RED varient d'une femme à l'autre, mais certains reviennent fréquemment :

  • Une anxiété soudaine et intense

  • Des pleurs inexpliqués

  • Une sensation d'oppression ou d'estomac noué

  • Des nausées

  • Des douleurs physiques diffuses

  • Des idées noires, voire dans les cas les plus graves, des pensées suicidaires

Il est important de noter que toutes les femmes atteintes de RED ne présentent pas l'ensemble de ces symptômes. L'inconfort psychologique, même léger, doit être pris en compte et ne doit pas être minimisé.

Facteurs de risque possibles

Bien que les causes exactes du RED restent inconnues, certaines pistes sont explorées. Certaines recherches suggèrent que des chocs émotionnels antérieurs, tels qu’un stress post-traumatique, une violence conjugale ou un deuil, pourraient avoir un impact sur la régulation hormonale et la réponse émotionnelle des mères allaitantes. De plus, des interrogations subsistent quant au rôle des troubles hormonaux préexistants, comme le diabète ou des pathologies endocriniennes, dans le déclenchement du RED.

Impact sur l’allaitement et la relation mère-enfant

Il est crucial de rassurer les mères concernées : le RED ne signifie pas que leur bébé en souffrira directement. Cependant, le ressenti négatif qu’elles éprouvent peut compliquer leur expérience de l’allaitement et leur bien-être général. Certaines mères se sentent coupables, honteuses et persuadées d’être responsables de leur mal-être. Cette souffrance peut altérer leur perception de l’allaitement, les empêchant de l’apprécier pleinement.

Cependant, il n’existe pas d’indications montrant que le RED entraîne une baisse de lactation. Les femmes concernées parviennent généralement à maintenir leur allaitement, sauf si elles choisissent d’arrêter pour des raisons émotionnelles.

Pistes de prise en charge

À ce jour, il n’existe pas de protocole de prise en charge spécifique pour le RED. Cependant, plusieurs stratégies semblent apporter un soulagement :

  • Nommer et reconnaître le RED : Le simple fait d’identifier le phénomène et de poser un mot sur cette expérience peut être un grand soulagement pour les mères.

  • Réduction de la charge mentale : Favoriser un environnement apaisant, déléguer certaines tâches du quotidien et privilégier des moments de détente.

  • Techniques de distraction : Pendant la tétée, certaines mères rapportent que regarder une série, écouter de la musique ou manger leur permet de détourner leur attention des sensations négatives.

  • Soutien émotionnel : Un accompagnement bienveillant, que ce soit par des professionnels de santé, des groupes de parole ou des proches, est essentiel pour aider les mères à mieux vivre leur allaitement.

Conclusion

Le réflexe d’éjection dysphorique est un phénomène encore peu connu mais qui impacte significativement l’expérience de l’allaitement maternel pour certaines femmes. Une meilleure reconnaissance du RED, tant par les professionnels de santé que par les mères elles-mêmes, est essentielle pour proposer un accompagnement adapté et permettre aux femmes concernées de poursuivre leur allaitement dans les meilleures conditions possibles.

 

Pour s'informer davantage sur cette thématique:

Article de Julie Bitoun

 

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