L’endométriose et la kinésithérapie : comprendre, accompagner et agir
L’endométriose est une maladie gynécologique complexe qui touche un grand nombre de femmes en France. Bien qu’essentiellement inflammatoire et souvent localisée dans le petit bassin, elle peut également affecter d’autres organes comme le diaphragme, les poumons, et même le cerveau. Pourtant, cette pathologie reste largement méconnue et sous-diagnostiquée. Pour explorer le rôle de la kinésithérapie dans la prise en charge de l’endométriose, nous avons échangé avec Aurélie Araujo, kinésithérapeute libérale et formatrice spécialisée.
Présentation d’Aurélie Araujo : une experte au service des patientes et des professionnels
Aurélie Araujo exerce en tant que kinésithérapeute libérale dans le sud de Toulouse. Forte de plusieurs années d’expérience et de deux Diplômes d’Études Universitaires (DEU) en pelvipérinéologie et soins cliniques, elle consacre une grande partie de sa carrière à la prise en charge des douleurs pelviennes, notamment celles liées à l’endométriose. Elle intervient également à l’École de Kinésithérapie de Toulouse et s’efforce de transmettre aux professionnels de santé les avancées issues de la recherche universitaire.
L’endométriose : une pathologie multifacette
Aurélia explique que l’endométriose est une maladie inflammatoire qui touche principalement le petit bassin, mais pas exclusivement. Elle peut provoquer une symptomatologie variée selon les organes affectés, rendant chaque cas unique.
Prévalence et complexité du diagnostic
- Prévalence : En France, l’endométriose touche une femme sur dix, bien que certaines études estiment ce chiffre à 18 %. Cela signifie que dans un cabinet de kinésithérapie, il est probable de rencontrer plusieurs patientes concernées, même si la prise en charge n’est pas exclusivement orientée vers la rééducation périnéale.
- Symptômes variés : Les zones affectées incluent la vessie, le rectum, le diaphragme, voire les poumons. Selon la profondeur et la localisation des lésions, les symptômes varient en intensité et en nature.
Les différentes manifestations cliniques
Les symptômes de l’endométriose se divisent principalement en deux catégories :
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Douleurs cycliques : Ces douleurs, liées au cycle menstruel, se manifestent par :
- Dysménorrhées (douleurs menstruelles).
- Dyspareunies (douleurs lors des rapports sexuels).
- Dysuries (difficultés à uriner).
- Dyskésies (difficultés à déféquer).
- Sciatiques ou douleurs d’épaule cycliques.
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Infertilité : Un autre aspect majeur de cette pathologie, qui nécessite souvent une prise en charge multidisciplinaire.
Aurélia souligne l’importance de détecter les douleurs cycliques, même lorsque celles-ci semblent peu reliées à la région pelvienne, comme dans le cas de douleurs d’épaule. Les kinésithérapeutes jouent ici un rôle clé dans l’identification de ces indices.
Le rôle de la kinésithérapie dans la prise en charge de l’endométriose
1. Un rôle diagnostique essentiel
Bien que les kinésithérapeutes ne posent pas de diagnostic médical, ils peuvent détecter des signes évocateurs et orienter les patientes vers des médecins pour approfondir les investigations. Aurélie rappelle que le retard de diagnostic de l’endométriose est estimé entre 7 et 10 ans. En interrogeant les patientes sur la cyclicité de leurs douleurs, les kinés peuvent contribuer à raccourcir ce délai.
2. Une approche adaptée au tableau clinique
Chaque patiente ayant un profil unique, la prise en charge est personnalisée :
- Rééducation périnéale : Indispensable pour les kinés spécialisés.
- Travail sur la sensibilité : Identifier et traiter des phénomènes comme l’allodynie (douleur à un simple effleurement) et l’hyperalgésie (douleur exacerbée à une stimulation normalement peu douloureuse).
- Rééquilibrage musculaire : Étirement et renforcement des zones concernées pour rétablir une fonction musculaire optimale.
- Reprise d’activité physique : Encourageant les patientes à pratiquer une activité physique adaptée, qui contribue à réduire les symptômes douloureux.
- Gestion de la sensibilisation centrale : En agissant sur la perception de la douleur au niveau cérébral, qui peut être altérée après des années de souffrance chronique.
Dans la suite de l’entretien, Aurélie développera davantage les interventions spécifiques du kinésithérapeute et les recommandations pour optimiser la prise en charge des patientes.
Le rôle de l'imagerie dans le diagnostic de l'endométriose
L’imagerie médicale joue un rôle crucial dans le diagnostic de l’endométriose, bien que certaines limites subsistent. Les lésions profondes, visibles sur des examens comme l’échographie ou l’IRM, permettent souvent d'établir un diagnostic clair. Toutefois, la majorité des cas concernent des endométrioses superficielles, difficiles à détecter par ces techniques.
Cela souligne l'importance de remettre les symptômes au cœur du diagnostic. L’évaluation clinique, menée par un interrogatoire approfondi, couplée à une imagerie interprétée par un radiologue spécialisé, est essentielle. Il est fréquent que les interprétations varient d’un radiologue à l’autre, rendant crucial le recours à un professionnel formé pour une détection optimale. Cependant, l’absence de lésions visibles à l’imagerie peut encore écarter un diagnostic, une pratique qui pourrait évoluer à l’avenir.
Une approche multidisciplinaire indispensable
Le traitement de l’endométriose nécessite une collaboration étroite entre divers professionnels de santé. Outre les gynécologues et radiologues, des spécialistes comme les kinésithérapeutes, psychologues, sages-femmes, nutritionnistes, sexologues, acupuncteurs, et même des coachs sportifs jouent un rôle crucial. Cette approche pluridisciplinaire permet d’offrir un soutien global aux patientes. Il est donc recommandé aux professionnels de santé de constituer un réseau de spécialistes vers lesquels orienter leurs patientes.
Hygiène de vie et pistes thérapeutiques
L'endométriose étant une pathologie inflammatoire, l’adoption d’un mode de vie anti-inflammatoire est souvent bénéfique. Voici quelques conseils pratiques :
- Alimentation anti-inflammatoire : privilégier les aliments biologiques pour réduire l’exposition aux pesticides et favoriser les légumes crucifères (choux, navets), qui favorisent l’élimination des œstrogènes.
- Réduction des facteurs aggravants : éviter le tabac, connu pour exacerber les symptômes.
- Remise en mouvement progressive : l’activité physique graduelle aide à rompre les cycles de douleur et de déconditionnement souvent observés chez ces patientes.
L’impact social et professionnel de l’endométriose
Les conséquences de l’endométriose sur la vie sociale et professionnelle sont souvent majeures. Les douleurs invalidantes peuvent entraîner une déscolarisation chez les adolescentes ou des absences récurrentes au travail chez les adultes, aggravant la stigmatisation. Les infirmières scolaires jouent un rôle clé dans la détection précoce chez les jeunes filles, notamment celles qui consultent fréquemment l’infirmerie pour des douleurs cycliques.
Variabilité des symptômes et formes spécifiques
L’apparition et la gravité des symptômes varient d’une patiente à l’autre :
- Asymptomatique : environ 23 % des patientes découvrent leur endométriose de façon fortuite, souvent lors d’une intervention chirurgicale.
- Symptômes précoces : pour la majorité, les premiers symptômes se manifestent entre 17 et 20 ans.
- Symptômes tardifs : des manifestations à un âge plus avancé peuvent indiquer une adénomiose, une forme spécifique d'endométriose avec des lésions localisées dans l'utérus.
Ressources pour les professionnels et patientes
Pour approfondir leurs connaissances, professionnels et patientes disposent de nombreuses ressources accessibles :
- Lectures adaptées : L’endométriose de Clara (forme de BD) et Il était une forme en endométriose.
- Formation professionnelle : le MOOC de l’Assurance Maladie offre des informations détaillées et fiables.
Ces supports permettent une meilleure compréhension de la pathologie et facilitent la prise en charge adaptée des patientes.
L’endométriose : Approche multidisciplinaire et rôle du kinésithérapeute
L’endométriose est une pathologie complexe qui touche environ une femme sur dix. Elle nécessite une prise en charge holistique et multidisciplinaire pour offrir aux patientes une amélioration réelle de leur qualité de vie. À travers ce dernier volet, nous approfondissons le rôle des kinésithérapeutes, les enjeux financiers et émotionnels pour les patientes, et les formations disponibles pour les professionnels de santé souhaitant se spécialiser dans ce domaine.
La prise en charge kinésithérapeutique : entre accompagnement et autonomie
Une durée limitée pour favoriser l'autonomisation
En moyenne, la prise en charge kinésithérapeutique d’une patiente atteinte d’endométriose s’étend sur six à douze mois. L’objectif est de fournir aux patientes les outils nécessaires pour devenir actrices de leur mieux-être, évitant ainsi une dépendance au professionnel. Il est essentiel de leur faire comprendre que l’amélioration de leur état repose principalement sur leur implication personnelle, notamment à travers la mise en pratique des conseils d’hygiène de vie et des exercices proposés.
Intégrer la kinésithérapie dans un parcours souvent chargé
Les kinésithérapeutes interviennent souvent tardivement dans le parcours des patientes, après de multiples consultations avec des professionnels non remboursés (psychologues, nutritionnistes, acupuncteurs, etc.). Cela fait du kiné un maillon clé, mais aussi un point d’ancrage émotionnel pour ces femmes souvent en quête de reconnaissance et de compréhension de leur maladie.
L’importance de la formation et de la sensibilisation des kinésithérapeutes
Une formation accessible à tous les kinés
Les techniques nécessaires pour prendre en charge ces patientes ne sont pas réservées aux spécialistes de la rééducation périnéale. La formation permet de revisiter des outils que tous les kinés connaissent déjà, mais qui sont parfois sous-exploités. En comprenant mieux les bilans, les symptômes, et les traitements associés à l’endométriose, chaque kiné peut contribuer efficacement au mieux-être des patientes.
Formation : un programme complet et pratique
Aurélie, experte en prise en charge de l’endométriose, propose une formation structurée en trois journées. Elle débute par une présentation des bases médicales de la pathologie, avant de s’orienter vers des aspects pratiques : techniques manuelles, étirements, éducation aux neurosciences de la douleur, et accompagnement à la reprise d’activité physique. Ce programme inclut également une introduction aux thérapies complémentaires et des conseils pour gérer les cicatrices post-chirurgicales.
Une pathologie à forte prévalence, mais encore mal prise en charge
Des chiffres alarmants
Avec une femme sur dix touchée et un délai moyen de diagnostic de sept à dix ans, il est urgent de sensibiliser et de former davantage de professionnels de santé. La reconnaissance précoce des symptômes et une prise en charge adaptée peuvent éviter des complications majeures, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sociales.
Appel aux professionnels : oser se lancer
Aurélie insiste sur la simplicité et l’efficacité des techniques enseignées. Tout kinésithérapeute, même sans expertise spécifique en périnéologie, peut contribuer significativement à améliorer la qualité de vie des patientes. Cette pathologie, encore trop méconnue, représente un enjeu majeur de santé publique et mérite une attention accrue.
Conclusion : un défi collectif
L’endométriose nécessite une approche globale, incluant des soins médicaux, une prise en charge psychologique, des ajustements d’hygiène de vie et un accompagnement kinésithérapeutique. Grâce à une meilleure formation des professionnels et une sensibilisation accrue, il est possible de réduire l’errance diagnostique et d’offrir un meilleur avenir à ces patientes.
Professionnels de santé, engagez-vous : une femme sur dix, c’est bien trop.