Violences conjugales pendant la grossesse : repérage et intervention pour les professionnels de santé

Violences conjugales pendant la grossesse : repérage et intervention pour les professionnels de santé

Introduction

Les violences conjugales, ou Intimate Partner Violence (IPV), représentent l’une des premières causes de morbidité chez les femmes en âge de procréer. Pendant la grossesse, elles concernent 3 à 20 % des femmes selon les contextes et augmentent les risques pour la santé de la mère comme de l’enfant (James et al., 2013, méta-analyse)

Elles restent toutefois largement sous-dépistées dans le suivi prénatal. Or, les professionnels de santé sont dans une position privilégiée pour identifier ces situations et proposer un accompagnement adapté.

Conséquences maternelles et néonatales

Les violences conjugales pendant la grossesse ont été associées à :

  • Naissance prématurée et faible poids de naissance : une méta-analyse (Hill et al., 2016) a confirmé un lien significatif entre exposition à l’IPV et augmentation du risque de prématurité et de petit poids de naissance (PubMed 26956568)
  • Santé mentale maternelle : un ensemble d’études de cohorte analysées par Román-Gálvez et al. (2022) montre une corrélation entre IPV et dépression post-partum (PubMed 35418053)
  • Santé globale : anxiété, stress chronique, conduites addictives, retard de suivi prénatal. Ces facteurs aggravent indirectement les issues obstétricales.

 

Ces résultats confirment l’importance du repérage systématique de la violence pendant la grossesse.

Le dépistage : que dit la littérature ?

La question centrale est de savoir si le dépistage en soins prénataux améliore réellement la prise en charge.

Preuves issues des revues systématiques

  • La revue Cochrane (O’Doherty et al., 2015) a montré que le dépistage augmente nettement l’identification des femmes victimes (RR ≈ 2,3), en particulier en milieu prénatal.
  • En revanche, il n’existe pas encore de preuve solide que ce dépistage seul diminue la violence subie ou améliore directement les issues obstétricales.

Outils validés: 

  • Le WAST-Short (Woman Abuse Screening Tool) et l’Abuse Assessment Screen (AAS) sont les instruments les plus étudiés.
  • Leur utilisation en consultation prénatale permet une détection précoce et améliore le dialogue soignant-patiente (LoGiudice et al., 2022, revue systématique)

Quelles interventions efficaces ?

La question de l’efficacité des interventions après dépistage est cruciale.

Revue systématique d’interventions

  • Taft et al. (2013) ont analysé les essais randomisés disponibles : certaines interventions multicomposantes (visites à domicile, counseling intensif) ont montré une réduction mesurable de la violence et une amélioration de la santé mentale maternelle (PubMed 24482679

Essai randomisé récent

  • En Inde, un essai contrôlé (BIP RCT, 2024) a montré que l’ajout d’un programme comportemental structuré aux soins habituels améliorait significativement la qualité de vie et réduisait la violence subie par les femmes enceintes (Trials Journal 2024)

Points communs des programmes efficaces

  • Approche pluridisciplinaire.
  • Suivi répété (et non une intervention ponctuelle).
  • Soutien psychosocial et psychologique associé aux soins obstétricaux.

Rôle des professionnels de santé

Les données actuelles montrent que les soignants occupent une place clé dans la détection et l’accompagnement des violences conjugales pendant la grossesse. Les bonnes pratiques reposent sur plusieurs piliers :

  • 🩺 Intégrer le dépistage dès la première consultation prénatale et le renouveler régulièrement.🤝
  • Créer un climat de confiance, en veillant à un entretien en toute confidentialité et en l’absence du conjoint.
  • 📋 S’appuyer sur des outils validés, tels que le WAST-Short (Woman Abuse Screening Tool) ou l’AAS (Abuse Assessment Screen).
  • 👂 Écouter et valider la parole, avec une attitude empathique et non jugeante.
  • 🔗 Orienter vers des ressources spécialisées (psychologues, associations, services sociaux).
  • 👩🍼 Assurer un suivi dans la durée, notamment en période postnatale, où la vulnérabilité reste élevée.

Recommandation de la HAS : « Femme enceinte victime de violences au sein du couple »

Ce que recommande la HAS

La HAS préconise que le dépistage des violences conjugales soit systématique chez toutes les femmes enceintes, ainsi qu’en post-partum, lors des consultations de suivi périnatal. Haute Autorité de Santé
Elle encourage les professionnels de santé à questionner systématiquement, même en l’absence de signes évidents d’alerte, et à adopter une attitude empathique, bienveillante, non jugeante.
Cette recommandation fait partie du cadre plus large de repérage, de prise en charge initiale, et d’orientation des victimes de violences au sein du couple. 

Elle recommande aux professionnels d’intégrer systématiquement cette démarche dans le suivi prénatal et postnatal.

👉 Questionner systématiquement :
Les violences doivent être recherchées lors de la première consultation prénatale, puis régulièrement au cours du suivi, même en l’absence de signes évidents. Poser la question de manière claire et directe aide à libérer la parole.

👉 Garantir un cadre sécurisant :
Les échanges doivent toujours se dérouler en toute confidentialité, à l’écart du conjoint ou d’un tiers. Un climat de confiance, respectueux et bienveillant, est essentiel pour favoriser la révélation.

👉 Utiliser des outils validés :
La HAS recommande de s’appuyer sur des questionnaires de dépistage validés, tels que le WAST-Short ou l’AAS, qui permettent d’aborder le sujet de manière structurée et professionnelle.

👉 Accueillir la parole avec empathie :
L’écoute doit être active, sans jugement, en validant les émotions exprimées par la patiente. Cette posture favorise un sentiment de soutien et de légitimité.

👉 Informer et orienter :
Une fois la situation repérée, il est indispensable de rappeler à la femme que les violences sont interdites par la loi et qu’elle peut bénéficier de protection. Le professionnel doit proposer une orientation adaptée vers des associations spécialisées, des services sociaux, ou des psychologues.

👉 Assurer un suivi continu :
Le soutien ne s’arrête pas à la grossesse. Le post-partum constitue une période de grande vulnérabilité, où un suivi attentif reste primordial afin de prévenir les rechutes et d’accompagner la famille dans la durée.

Conclusion

Les violences conjugales pendant la grossesse représentent un enjeu majeur de santé publique, aux répercussions graves pour la mère comme pour l’enfant. Parce qu’ils sont en première ligne du suivi prénatal et postnatal, les professionnels de santé occupent une place déterminante dans leur repérage. Intégrer un questionnement systématique, offrir un cadre sécurisant, utiliser des outils validés et orienter vers les ressources spécialisées sont des pratiques recommandées par la HAS et soutenues par la littérature scientifique internationale.
En développant une posture empathique et un accompagnement sur le long terme, les soignants peuvent contribuer activement à la protection des femmes et de leurs enfants, et participer à une prise en charge globale et préventive des violences.

Sources bibliographiques

  • Haute Autorité de Santé. Repérage des femmes victimes de violences au sein du couple. HAS, 2019. Disponible sur : https://www.has-sante.fr/
  • Haute Autorité de Santé. Situation particulière de vulnérabilité : femme enceinte victime de violences au sein du couple. Fiche mémo, 2022.
  • James L, Brody D, Hamilton Z. Risk factors for domestic violence during pregnancy: a systematic review and meta-analysis. Trauma Violence Abuse. 2013;14(4):217-228. doi:10.1177/152483801348435
  • Hill A, Pallitto C, McCleary-Sills J, Garcia-Moreno C. A systematic review and meta-analysis of intimate partner violence during pregnancy and selected birth outcomes. Int J Gynaecol Obstet. 2016;133(3):269-276. doi:10.1016/j.ijgo.2015.10.023
  • World Health Organization (WHO). Responding to intimate partner violence and sexual violence against women: WHO clinical and policy guidelines. Geneva: WHO; 2013

Pour se former davantage sur la thématique des violences

Les violences faites aux enfants

 

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